Justice et tribunaux

Bien identifier qui il faut poursuivre

Partager
Imprimer

Poursuivre quelqu’un est une décision importante, qui demande un investissement considérable en temps et en argent. Vous seriez probablement très frustré de ne jamais récupérer l’argent accordé par le juge, simplement parce que vous avez mal indiqué le nom de la personne ou de la compagnie que vous vouliez poursuivre.

Un exemple? Supposons que vous voulez poursuivre la boutique « Le Bonheur du Campeur ». Ce serait une grave erreur de simplement inscrire « Le Bonheur du Campeur » comme défendeur sans aller vérifier la forme et surtout le nom officiel de cette entreprise au Registre des entreprises du Québec (REQ). Un nom officiel est généralement très différent de celui qui s’étale en grosses lettres sur la devanture!

Et qu’en est-il des poursuites contre les mineurs? Doit-on poursuivre l’employé qui nous a fait du tort, son employeur, ou les deux? Tant de questions…

Dans cet article, Éducaloi vous explique comment identifier la personne ou l’organisation (compagnie, société, association, etc.) à poursuivre selon votre situation.

Quelles erreurs éviter … quand on poursuit une personne?

Tout d’abord, rappelez-vous que vous devez poursuivre la ou les personnes qui sont directement responsables des dommages que vous avez subis.

Comment éviter de mal identifier cette personne dans votre demande? Vous devez de préférence indiquer son nom officiel, c’est-à-dire celui qui est inscrit à l’état civil, et non son pseudonyme, son nom d’artiste ou son nom de femme mariée.

Par ailleurs, si vous êtes incertain du vrai nom d’une personne, sachez qu’il est suffisant d’utiliser un nom qui l’identifie clairement, en autant que votre demande lui ait bien été signifiée. (En matière de petites créances, cela suppose que vous ayez donné la bonne adresse au greffier.) S’il s’agit d’un contrat, vous pouvez utiliser le nom ou les initiales que la personne a utilisés dans le contrat.

Finalement, si la personne conteste votre demande au motif que la personne poursuivie n’existe pas, vous pourrez peut-être aussi demander au juge de modifier votre demande pour refléter le nom utilisé dans la contestation (défense).

Cas particuliers

Si la personne que vous voulez poursuivre est mineure, lisez « Qui poursuivre… entre un mineur et ses parents? ».

Si elle est inapte, lisez « Qui poursuivre… entre une personne incapable d’agir elle-même et son représentant? ».

Si elle est employée par une compagnie et que c’est à ce titre que vous voulez la poursuivre, lisez « Qui poursuivre… entre un employeur et son employé? ».

Quelles erreurs éviter… quand on poursuit un magasin, une compagnie, etc.?

Tout d’abord, rappelez-vous qu’il faut poursuivre l’entreprise qui est directement responsable des dommages que vous avez subis.

Le danger qui vous guette est de ne pas pouvoir récupérer les sommes accordées parce que vous n’avez pas indiqué le nom officiel, ou encore de perdre votre cause parce que vous avez poursuivi les mauvaises personnes.

Pour éviter ces problèmes, il vous faut la forme et le nom légal de l’entreprise. On peut les trouver en consultant le Registre des entreprises du Québec (REQ). Les résultats apparaissent sous forme de liste de dossiers.

Forme

Par exemple, en indiquant « Éducaloi » dans le moteur de recherche du REQ, on peut trouver son dossier et constater qu’Éducaloi est constitué « selon la partie 3 de la Loi sur les compagnies », c’est-à-dire que c’est un organisme sans but lucratif qui a été constitué en personne morale.

La forme est importante puisque des règles particulières s’appliquent à :

  • une société – lisez « Qui poursuivre… entre une société et ses associés? »;
  • une entreprise individuelle – lisez « Comment poursuivre une entreprise individuelle »?
  • une association – lisez « Qui poursuivre… entre une association et ses membres? »;
  • une personne morale (société par actions ou compagnie, organisme à but non lucratif incorporé ou association personnifiée, fabrique de paroisse, syndicat de copropriété, etc.) – lisez « Qui poursuivre… entre une personne morale et ses administrateurs et dirigeants? ».

Nom légal

Ensuite, vous devez trouver le nom légal dans le REQ et l’indiquer dans votre demande. Par exemple, si vous voulez poursuivre le magasin connu sous le nom de « Le Bonheur du Campeur», vous n’avez qu’à indiquer ce nom dans le moteur de recherche du REQ. En cliquant sur le dossier « Le Bonheur du Campeur », vous pourriez découvrir, par exemple, que le nom légal est en fait « Les entreprises Bonheur du Campeur Ltée » ou même quelque chose qui ressemble à « 1234-5678 Québec Inc. ».

Il vous faudra parfois vous armer de patience. Si c’est une grande chaîne de magasins ou de restaurants qui vous a causé un dommage, il n’est pas impossible que vous trouviez quelques centaines de dossiers sous le même nom d’affaires! L’adresse indiquée à droite de chaque dossier vous aidera à repérer le bon établissement. Chaque établissement a son propre nom légal.

Comment poursuivre une « entreprise individuelle »?

Certaines personnes ne veulent pas nécessairement créer une compagnie, mais veulent quand même pouvoir utiliser un nom d’affaires pour les services qu’elles offrent. Elles doivent alors enregistrer leur nom d’affaires au REQ. C’est ce qu’on appelle une entreprise individuelle.

Par exemple, Justin Morin-Lemieux peut avoir son entreprise de déneigement sous le nom de « Service de déneigement J.M.L. Enr. ». Dans le REQ, on indiquera que Service de déneigement J.M.L. Enr. est une entreprise individuelle, dont le propriétaire est Justin.

Dans ce genre de situation, c’est la personne qui exploite l’entreprise qu’il faut poursuivre, et non l’entreprise individuelle. En effet, celle-ci n’existe pas légalement : c’est un simple nom.

Qui poursuivre… entre une personne morale et ses administrateurs et dirigeants?

Si votre recherche au REQ révèle que l’entreprise recherchée est une personne morale (compagnie ou société par actions, organisme sans but lucratif incorporé, syndicat, etc.), c’est elle que vous devez poursuivre, et non ses administrateurs et dirigeants. En effet, c’est la personne morale qui est responsable des fautes commises par les personnes qui travaillent pour elle (ce qui inclut ses employés, ses administrateurs et ses dirigeants).

Dans votre demande, vous devez indiquer le nom légal de la personne morale, indiqué en haut de la fiche du REQ.

Dans des cas exceptionnels, il est possible de poursuivre directement les administrateurs et dirigeants. C’est le cas par exemple en cas de fraude de leur part. Vous trouverez une liste des administrateurs et dirigeants, ainsi que leur adresse, dans la fiche du REQ de la personne morale.

Qui poursuivre… entre une société et ses associés?

Une société est un regroupement de personnes, qu’on appelle les « associés », qui décident par contrat de faire affaires ensemble et de se diviser les profits. Votre recherche dans le REQ sur l’entreprise que vous voulez poursuivre indiquera « société en nom collectif » ou « société en commandite ».

Vous pouvez poursuivre la société seulement, ou la société et les associés personnellement, à votre choix. Attendez-vous cependant à ce que les associés fassent suspendre la poursuite contre eux en attendant qu’un juge se prononce sur celle contre la société.

Le cas de la société en nom collectif (S.E.N.C.)

Si le REQ indique que c’est une société en nom collectif que vous voulez poursuivre, alors vous pouvez poursuivre la société et les associés, peu importe quel associé est directement responsable de vos dommages.

Supposons que vous avez livré des meubles à la société Pinson, Lemerle, Lecoq, S.E.N.C. Le REQ vous indique qu’il y a trois associés dans la société : M. Pinson, M. Lemerle et M. Lecoq. Même si c’est M. Pinson qui vous a commandé les meubles et qui fait défaut de vous les payer, vous pouvez poursuivre la société et les trois associés, et ce, même si M. Lemerle et M. Lecoq n’étaient pas au courant de la commande faite par M. Pinson.

Le cas de la société en commandite (S.E.C.)

Vous pouvez aussi poursuivre la société et les associés s’il s’agit d’une société en commandite. Toutefois, la règle est un peu différente, puisque les associés sont divisés en « commandités » et en « commanditaires ». (Vous pouvez voir qui sont les commandités et les commanditaires en consultant le dossier de la société au REQ.) Contrairement aux commandités, les commanditaires condamnés par jugement n’ont jamais à payer plus ce qu’ils ont investi dans la société au départ.

Considérations pratiques sur la possibilité de récupérer les sommes

La loi prévoit que si le juge vous donne raison et que le jugement vous accorde une certaine somme d’argent, vous devez commencer par essayer de récupérer l’argent de la société. Ce n’est que si celle-ci n’a pas les moyens pour vous payer que vous pouvez vous tourner vers les associés.

Qui poursuivre… entre une association et ses membres?

Vous pouvez poursuivre l’association, sous son nom habituel.

Si la recherche au REQ révèle qu’il s’agit d’une association incorporée (ou « association personnifiée »), les règles relatives aux personnes morales s’appliquent. Référez-vous à la question « Qui poursuivre… entre une personne morale et ses administrateurs et dirigeants? ».

Vous pouvez aussi poursuivre le ou les membres dont les gestes vous ont causés des dommages. Le nom et l’adresse des membres sont indiqués au REQ dans le dossier de l’association en question.

Ce n’est que si les biens de l’association sont insuffisants qu’on peut se tourner vers les membres pour récupérer les sommes accordées par jugement. À noter que seuls les membres qui ont joué un rôle d’administration au sein de l’association – les membres fondateurs, si aucune nomination officielle n’a été faite – sont responsables des dettes de l’association liées à ses activités, si celles-ci découlent de leurs décisions. Le membre qui n’a jamais été impliqué dans l’association n’est responsable que des contributions financières qu’il a promises ou des cotisations qu’il n’a pas payées.

Qui poursuivre… entre un employeur et son employé?

La loi prévoit que toute personne ou organisation est responsable des fautes des personnes placées sous son contrôle et sa supervision, qu’elles soient employées, bénévoles ou même contractants. (La loi les appelle « préposés ».)

Par exemple, un pharmacien non-propriétaire, qui loue un local dans une pharmacie, n’est pas contrôlé et supervisé par cette pharmacie. S’il se trompe en préparant votre médicament et que cela vous cause des dommages, ce n’est pas la pharmacie qu’il faut poursuivre, mais le pharmacien.

Le fait que l’employeur soit responsable n’enlève rien à la responsabilité personnelle de l’employé. Tout dépendant de la nature de son geste (et de l’importance des montants en jeu!), vous pouvez donc choisir de le poursuivre personnellement.

Attention: il faut toutefois que l’employé ait commis une faute! Par exemple, une vendeuse ne commet pas de faute en vous vendant un chandail qui tombe en lambeaux au premier lavage : c’est la faute du magasin et du fabricant. Par contre, elle commet peut-être une faute si elle refuse obstinément de vous rembourser alors que la politique du magasin prévoit clairement un remboursement dans ce genre de situation.

Il faut souligner qu’il est parfois difficile de déterminer si quelqu’un a assez de contrôle et exerce assez de supervision sur quelqu’un pour pouvoir être considéré responsable de ses actions. Par exemple, certains jugements disent qu’un hôpital n’a pas de tel contrôle sur un médecin; d’autres disent que oui.

Qui poursuivre… entre un mineur et ses parents?

Un mineur qui a atteint l’âge de raison (généralement vers sept ans) peut être poursuivi directement s’il cause des dommages à une autre personne. À quoi bon poursuivre un mineur qui n’a pas d’argent, vous demandez-vous? Eh bien, sachez que vous disposez de dix ans pour récupérer l’argent accordé dans un jugement. Un ado sans le sou pourrait bien devenir pendant ce temps un jeune adulte prospère! (Et c’est sans compter qu’il pourrait être couvert par la police d’assurance responsabilité de ses parents..)

Il est aussi possible de poursuivre les parents d’un mineur puisque la loi crée une présomption de responsabilité des parents quand leur enfant cause un dommage à quelqu’un. Toutefois, les parents peuvent écarter leur responsabilité en prouvant qu’ils n’ont pas commis de faute dans la surveillance ou l’éducation de leur enfant.

Finalement, les personnes dont le travail est d’encadrer, de surveiller ou de garder des enfants (enseignants, moniteurs, surveillants, gardiens, etc.) peuvent parfois être poursuivis pour les gestes posés par les enfants pendant qu’ils étaient sous leur surveillance ou leur garde.

Qui poursuivre… entre une personne incapable d’agir elle-même et son représentant?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas parce qu’une personne est inapte qu’elle est automatiquement non responsable des dommages qu’elle cause aux autres.

Il faut évaluer au cas par cas si la personne est capable de discernement, c’est-à-dire si elle est capable de comprendre les gestes qu’elle pose et leurs conséquences. Donc, ce n’est pas parce qu’une personne est sous tutelle, ou parce que quelqu’un gère ses affaires en raison d’un mandat de protection, que vous ne pouvez pas la poursuivre si elle vous cause un dommage.

Quant au représentant (tuteur, mandataire, représentant temporaire, etc.), vous devez aussi l’inclure dans votre poursuite, en précisant « en sa qualité de (tuteur, mandataire, représentant temporaire, etc.) de XYZ (la personne inapte) ».

Notons que le représentant n’est pas lui-même responsable des fautes de la personne représentée, sauf s’il a manqué à son devoir de garde de façon très grave ou intentionnelle. Par contre, s’il a lui-même posé un geste qui vous a causé directement un dommage, vous pouvez aussi le poursuivre personnellement, c’est-à-dire sans la mention de sa qualité.